Profession «juicer» à Paris : dans la jungle des chargeurs de trottinettes

Profession «juicer» à Paris : dans la jungle des chargeurs de trottinettes

Profession «juicer» à Paris : dans la jungle des chargeurs de trottinettes

Sommaire

Sylvain collecte, recharge et redéploie une douzaine d’engins électriques par soir. Un job d’appoint physique et parfois périlleux. Reportage.

Un soir de février, dans le quartier de la Gare de Lyon (Paris, XIIe). Juché sur sa gyroroue, Sylvain* s’élance à 45 km/h sur l’avenue Daumesnil. Portable en main, il vient de géolocaliser sur l’application Lime une trottinette électrique avec moins de 75 % de batterie. Pas de chance, une fois arrivé sur place, elle est introuvable. « Quelqu’un a dû la prendre juste avant moi… ça se joue souvent à quelques minutes », observe Sylvain. A la vitesse de l’éclair, il longe un mur et tombe enfin sur la trottinette recherchée. Il scanne le code de la machine avec son smartphone puis la transporte en la faisant rouler à ses côtés.

Depuis le mois d’octobre, ce trentenaire parisien travaille comme « juicer ». Ce mot anglais (« juice » est synonyme d’électricité) désigne ceux qui collectent les trottinettes électriques en libre-service pour les recharger à leur domicile, avant de les redéployer au petit matin. « J’ai découvert ce job en lisant Le Parisien. J’ai un métier à plein temps dans le ferroviaire et je fais les 3X8. J’avais besoin d’argent alors j’ai créé un statut d’autoentrepreneur. Je fais ça surtout les week-ends et quand mon emploi du temps le permet ».

Profession «juicer» à Paris : dans la jungle des chargeurs de trottinettes
Sylvain collecte, recharge puis dépose des trottinettes électriques Lime et Bird dans le quartier de la Gare de Lyon (XIIe)

Entre 12 kg et 18 kg par trottinette

En quatre mois, Sylvain a empoché 5 100 euros grâce à cette activité. Une trottinette lui rapporte entre 5 euros et 10 euros, selon son niveau de batterie et la difficulté à la récupérer. « Il m’est arrivé d’escalader un muret pour aller en chercher une dans une cour d’immeuble. D’après moi, 95 % des trottinettes sont à 5 euros… Celles à plus de 10 euros sont très rares ». Ces « juicers » ne peuvent prétendre qu’à « un revenu complémentaire » et non à un vrai salaire, prévient-on chez Lime. La société américaine compte aujourd’hui 200 emplois en France, et fait appel à ces «indépendants» pour réguler sa flotte.

Lisez également :  Les assises de la mobilité et les NVEI

Ce soir-là, en moins d’une heure, Sylvain « capture » quatre engins roulants. Chacune pèse entre 12 et 18 kilos. Il les empile de façon acrobatique et poursuit sa route du haut de sa gyroroue. A son passage, les promeneurs qui bravent la pluie s’arrêtent, interloqués. « Contrairement à ce qu’on croit, tenir des trottinettes me rend plus stable, explique Sylvain. Mais c’est vrai que ça peut être dangereux. Je suis déjà tombé, à cause de piétons inattentifs qui m’ont barré la route. J’en ai eu pour 200 € de réparation sur ma gyroroue. On subit aussi l’hostilité de ceux qui n’aiment pas les trottinettes ».

Face au risque d’accident, certains réclament davantage de protection pour ces « collaborateurs » au statut précaire, comme la fourniture de casques, de gilets réfléchissants ou de brassards pour être mieux identifiés.

Après avoir collecté les trottinettes, Sylvain les rapporte chez lui. « Heureusement que j’ai un ascenseur. Quand il est en panne, c’est trop dur ». Dans l’appartement de 65 m2 où il vit en colocation, le sol du salon est parsemé de fils électriques. « J’ai une vingtaine de chargeurs, qui sont fournis par Lime ou Bird. En moyenne, la recharge prend quatre heures. Mais ma facture d’électricité a augmenté de 10 € seulement ».

Profession «juicer» à Paris : dans la jungle des chargeurs de trottinettes
Sylvain collecte, recharge puis dépose des trottinettes électriques Lime et Bird dans le quartier de la Gare de Lyon (XIIe)

Une course contre la montre à l’aube

Il est bientôt 22 heures. Sylvain décide de s’arrêter là. Revenu de la soirée : 21 euros. « D’habitude, j’essaie de charger environ 12 trottinettes, en faisant plusieurs aller-retour. Mais en ce moment je lève un peu le pied. Au début, chaque Lime était facturée 7 euros, j’arrivais à me faire 100 euros par nuit. Maintenant, c’est 5 euros, il y a plus de juicers et il faut aller très vite ».

Lisez également :  Segway présente S-Pod : un siège roulant auto-équilibré et électrique

Sa tâche est encore loin d’être terminée. Après une très courte nuit, Sylvain se réveille à 3 h 30 du matin. Muni d’un petit chariot, il redéploie, à pied, les trottinettes chargées. C’est une course contre la montre. Elles doivent impérativement être déposées, proprement alignées, avant 7 heures, sous peine d’être moins bien payé. « C’est l’appli qui nous indique les “nids” où les déposer. Le problème c’est qu’ils sont parfois loin de mon domicile ou alors mal localisés dans l’appli. Si je dois marcher plus de 20 minutes, ça ne vaut pas le coup… ».

Sylvain retrouve son lit vers 7 h 30. « A cette heure, c’est difficile de trouver le sommeil », confie-t-il. Malgré tout, il apprécie ce job pour son côté divertissant et sportif. « Quand je ne travaille pas le soir, je m’ennuie. Je suis moins fatigué et du coup j’ai aussi du mal à dormir ! »

* Le prénom a été changé

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *